Saint-Etienne | 42
Créé en 2023, par une jeune équipe stéphanoise, ce journal de 16 pages, fortement ponctué par des illustrations, s’est spécialisé sur les sujets d’écologie, de santé publique et l’impact de la technologie sur nos sociétés. Trimestriel, il est vendu en kiosque dans toute la France et au-delà. Infiltrons-nous dans « la Brèche » avec son rédacteur en Chef, Clément Goutelle…
Alors que la mort du papier est annoncée, vous faites ce choix en 2023 pour le trimestriel la Brèche …
> Clément Goutelle : On annonce régulièrement sa mort et selon nous prématurément ; nous, on veut en défendre les atouts … Il y a une certaine lenteur dans l’information écrite, en parallèle du flux d’informations. Sur les sites d’information, vous êtes liés à un algorithme et plus vous cliquez certains types d’info, plus on vous invite à aller sur cette thématique et on vous y enferme… Le papier peut inviter à lire d’autres sujets, ce que ne permet pas l’écran.
Notre sous-titre est : « avec l’écran on passe le temps, avec le papier on prend le temps ». Cette proposition papier invite les gens à nous envoyer du courrier manuscrit qui va à l’encontre du vite, du digital et de la déshumanisation. Cela amène une autre relation avec les lecteurs. On s’est dit, on va se glisser dans « la brèche… » et « battre en brèche » les idées reçues… à travers ce choix et notre ligne éditoriale.
Journal d’investigation, de reportages et d’analyse la Brèche s’intéresse à quelles thématiques…?
> Nous nous intéressons à l’environnement, la santé publique et les impacts de la technologie, des enjeux actuels… Trois thématiques fortes, qui pour nous s’entremêlent, sont intimement liées et nous semblent moins traitées ou pas assez, notamment l’aspect réflexion de l’impact du numérique et l’acceptation du numérique.
Vous êtes un media national qui regarde le local différemment ?
> On traite de sujets de province… Et ce n’est pas parce que cela se passe à un endroit que cela n’a pas d’intérêt au national… Un sujet local comme la problématique de la LGV à Bordeaux, Toulouse… a une propension à se décliner au national … Cela n’empêche pas de parler de Paris, mais notre choix est de porter un regard hors Paris.
Quelles sont vos façons de travailler les sujets ?
> Depuis le démarrage, tous ceux et celles qui écrivent, dessinent dans le journal, sont payés… Ce choix permet d’avoir un beau panel de sujets proposé par des journalistes, qui nous arrivent de toute la France et cela dès le n°2. On prend le temps aussi de travailler les sujets avec les journalistes, on leur laisse la place, le temps de sortir les infos, de les analyser et pas de les reprendre. Quand on investigue, on fait de l’enquête, on a envie que ça fasse bouger les lignes…Le but du reportage comme on peut le lire dans le dernier numéro est de casser certaines idées reçues. On n’est pas là pour donner notre opinion, même si on en a une… On n’est pas des sachants, mais des journalistes qui s’interrogent, le contradictoire a toute sa place dans notre travail pour permettre au lecteur de se faire son idée.
Les élections municipales… Le sujet approche, vous le traiterez ?
> Ce n’est pas sûr, mais ce serait en montrant des mairies qui fonctionnent différemment ou qui ont fonctionné avec succès ou pas, mais qui ont essayé d’autres façons… Mais ce n’est pas notre place, on est un trimestriel. Le sujet va être beaucoup traité, donc on ne fait pas ce choix. Le prochain dossier de quatre pages de la Brèche sera sur le système carcéral.
Le dessin est fortement présent dans vos numéros, la photo très peu…
> Depuis toujours, nous privilégions le travail de l’illustrateur, l’illustration… Il y a peu de photos et seulement quand cela paraît plus pertinent. L’illustration apporte un plus. C’est une autre lecture de l’info, qui peut la compléter, ajouter un regard ou simplement inviter à lire. Dans chaque numéro on a une quinzaine de journalistes qui participent et une trentaine de dessinateurs, c’est un choix esthétique, une atmosphère voulue.
La Brèche est un journal militant ?
> Il y a un ton, le choix des sujets qui montrent notre ligne éditoriale, c’est à ce titre que l’on pourrait dire militant. Mais militant pour moi, c’est un écrit qui vous dit ce que vous avez à penser et ce n’est pas du tout notre propos.
« La Brèche » se vend bien dans la Loire, votre fief, mais aussi à Toulouse et dans les villes moyennes -Le Mans, Niort… - beaucoup aussi dans les campagnes et cela en ayant fait le choix de la distribution en kiosque ?
> À travers cette démarche, on défend tout un circuit, de l’impression à la distribution ; en ayant un distributeur, cela assure notre présence dans toute la France, même en Belgique aussi, sur 8000 points de vente. L’idée est de défendre la pluralité de la presse, accessible à tous, elle repose sur une Loi adoptée après la Seconde guerre mondiale, garantissant à tous les journaux d'information générale, la possibilité d'être disponibles sur l'ensemble du territoire national, dans tous les kiosques, et aussi aujourd’hui dans tous les Points Relay de Bolloré… Il y a une obligation à nous mettre en rayon, même si parfois il y a de la résistance. Par ce circuit, on veut toucher des gens peu investis, pas des gens concernés, même si on écrit aussi pour eux, et on voit que cela fonctionne… On reçoit des courriers d’un peu partout « je vous ai acheté par hasard… » C’est l’objectif et c’est super. Notre volonté est d’être aussi demain plus présent dans les librairies indépendantes, auprès des lecteurs amateurs papier. Notre attention à faire un bel objet le permet.
Il y a le journal papier, un site… Et aussi une volonté d’aller à la rencontre de ceux qui vous sollicitent…
> Oui, nous avons un site, qui va être refondu. Il est simplement une vitrine qui alimente la notoriété, la légitimité… on met au compte-gouttes les anciens articles en ligne. Et c’est aussi la possibilité de s’abonner.
Sur le terrain, depuis un an, lors de la sortie du journal, une fois par trimestre, il y a une rencontre en local à St Étienne au cinéma le Méliès. On y présente le numéro en échangeant avec le public, suivi d’un film ou d’un documentaire. On va essayer de développer ce genre de rencontres dans les grosses villes. On répond également aux invitations ; dernièrement, on s’est déplacé à la demande d’un collectif citoyens d’un petit village, Chassagny, dans le Rhône qui était concerné par une procédure « bâillon », on avait déjà fait un sujet sur ce type de procédure judiciaire et comment lutter contre… Etait présents aussi 2 avocats. Généralement ce sont de bons échanges, ça booste les gens qui nous reçoivent et nous aussi, de voir l’intérêt porté à la presse libre et indépendante. Être à proximité de nos lecteurs et répondre à des questions de société nous semblent important dans notre métier aujourd’hui.
Un tirage à 25 000 exemplaires par achat ou abonnement… Quel est votre modèle économique ?
> Il y a trois permanents, le directeur de publication Jean-Philippe Peyrache, Marion Sabatier la directrice artistique et moi qui suis le rédacteur en chef. Nous arrivons à nous rémunérer plusieurs dizaines d'heures par mois, ça nous permet de voir que l'on avance dans le bon sens et de garder la motivation. Il n’y a pas de pub ce qui nous permet d’être libres de parler de tout, de faire des choix de sujets, parfois casse-gueules, comme l’impact des ondes magnétiques, dès notre n°2. Libre et indépendant certes, mais dépendant de nos lecteurs qui font le choix de l’abonnement, plus sécurisant pour le journal ou de l’achat en kiosque. On est parti avec presque rien, juste avec une campagne de pré-abonnement, vu que l’on avait fait un magazine–mook “Le Barré“ on était un peu connu… on a eu près de 600 abonnements ce qui correspond à 15 000 €. Le papier a le mérite d’avoir un modèle économique clair, les gens comprennent ce qu’ils achètent, il y a un objet, du palpable et de l’humain, on relie les lecteurs à une équipe.
Les trois coups ! Selon Clément Goutelle
> Coup de chapeau : «
Aux curieux qui sont prêts à découvrir une nouvelle lecture… sans les lecteurs on n’a pas de raison d’exister. Les premiers abonnés se sont abonnés sur la promesse d’un journal. Ils nous ont fait confiance ».
> Coup de main : « On peut faire chambre d’échos, quand il y a des lanceurs d’alerte ou des problématiques, on peut aider à enquêter en dénonçant un sujet … même si on est petit, on arrive à avoir des répercussions. On a participé en partie à sauver dans l’Ain, le registre des malformations congénitales. Dernièrement, on a fait un papier sur les dérives des ventes d’armes en ligne sans réglementation, qui a interpellé un député local … qui s’est saisi du sujet et souhaite une loi dans le domaine. On commence à avoir une légitimité par le travail effectué. Et, comment nous aider ? En nous lisant et en s’abonnant si on aime ».
> Coup de projecteur : Sur les Éditions La Lenteur, cela correspond bien à notre démarche, ils ont des analyses qui sortent des clous… Nous avons parlé dans le dernier numéro de livres édités chez eux « La Terre confisquée : penser la route et ses impacts ». L’auteur, philosophe, Jean-Marc Ghitti, décrypte comment l’aménagement du territoire contraint la nature et l’humain : Il écrit « Le territoire, c’est de la nature soumise et devenue comme étrangère aux hommes, qui ne peuvent plus l’habiter véritablement».
Journal La Brèche : https://journal-labreche.fr






