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Créon | 33

Après une infusion de près de 3 ans, un journal papier indépendant ancré dans l’Entre deux-Mers voit le jour en septembre dernier. Il est le fruit de la détermination de sa co-fondatrice et journaliste qui vit sur ce territoire ; Anne-Sophie Novel raconte les derniers coups de pédales pour le faire émerger, mais aussi la carte du tour à venir…

Journaliste, documentaliste, auteur, vous avez lancé le journal  “Ismée“  avec Ivan  Mathie et une petite équipe en septembre dernier, après une réflexion  de 3 ans dont les dernières étapes ont été effectuées à vélo,  c’est presque l’histoire d’une épopée, ce journal  ?
> Anne-Sophie Novel :  En quelque sorte,  il était dans la tête depuis trois ans, mais aussi dans l’échange à travers des débats, des rencontres et à un moment, j’ai eu peur au niveau économique, donc j’ai fait une pause. La rencontre avec Ivan Mathie, photographe avec qui j’en  reparle, va relancer cette envie. On décide alors de partir  ensemble à vélo pour explorer l’Entre-deux-Mers afin d’en comprendre les contours.  Auparavant,  on a  créé une identité graphique et on  part sur 5 jours, on communique sur  Instagram  en mars 2024… et puis la DRAC donne une subvention de près de 7600 €, on nous prête un local dans un tiers-lieu… Tout roule.

 Avec quelle idée  construisez-vous  ce journal qui prend vie et son nom  à partir d’un isthme …?
> Je me pose la question de comment à l’échelle de mon territoire, l’Entre-deux-Mers, je pourrais  aborder certains sujets, comme, par exemple, le sujet de  l’écologie autrement, avec un  œil nouveau … et l’idée est de partir  de la manière dont  les gens occupent  le territoire pour ensuite aborder  ces sujets-là… La meilleure manière de faire un travail journalistique, c’est se rendre dispo, en allant vers tous types de public,  des gens  non visibles par la presse habituellement et de faire de la micro-histoire locale à partir de récits de vie …

Comment appelez-vous ce journalisme expérimenté à travers Ismée, qui n’est pas de l’investigation, mais plus de l’enquête… qui a pour objectif de réinventer les manières de voir du journaliste ?
> C’est en effet un journal expérimental, on a une approche géographique, avec des méthodes de questionnement inspirées  de l’art de l’enquête de Bruno Latour, qui a notamment écrit sur ce sujet « Habiter la terre », « puissance de l’enquête »… Nous  nous en inspirons. Il y a dans  cette approche un questionnement qui se porte sur les sujets de  préoccupations  des personnes du territoire, où ils vivent, et dont celui-ci vit. C’est une  expérimentation  que l’on propose, qui passe par notre manière de  questionner les gens sur leurs connaissances du territoire et leur usage du territoire. L’attachement au lieu est important, quand je  questionne une personne avant de faire son portrait, je lui  demande  son rapport au territoire. On fait aussi des  portraits de lieu, de paysage, d’initiatives.   Et  pour cela,  la cartographie a pleinement sa place dans cette démarche, afin notamment de géolocaliser l’endroit dont on parle, d’où l’on parle.

Dans le 1er numéro de septembre  de quoi avez-vous parlé ?
> On a posé la question : sur quel territoire habitons-nous ?  Pour nous, l’Entre-deux-Mers, c’est entre la Dordogne et la Garonne, mais on s’est aperçu que les gens ont des récits et des perceptions très différentes et cela nous a permis dans ce numéro manifeste d’expliquer le choix de l’échelle  de l’Entre-deux-Mers,  où se côtoient à 25 km de Bordeaux, le péri-urbain, l’urbain, le rural avec des réalités de vie particulières,  qui nous semblent intéressantes d’aller interroger, que ce soit dans la manière d’y habiter, de s’alimenter, de se déplacer…C’est ainsi que l’on veut raconter la vie telle qu’elle se passe ici et derrière,  aller impulser aussi  des questionnements.  Nous, on a envie  que les gens  du territoire reprennent intérêt à échanger sur les sujets de leur territoire …
Et le  sujet du numéro 2 s’est porté  sur le pain, la boulange, et ce que cela dit de notre manière d’aménager le territoire…

Vous traiterez le sujet  des élections municipales… ?
> On  en parlera sur le site Web, sur la newsletter, ce qui est sûr, c’est que  le numéro 3  traitera de l’engagement citoyen au niveau des communes.

Vous avez aussi une  lettre d’info qui paraît tous les 10 du mois, elle raconte l’actualité du journal, mais pas seulement … ?
> On fait beaucoup de veilles de la presse locale spécialisée ou non… et on  la commente sous forme de brèves, une façon de montrer de l’intérêt pour ce qui se passe autour de nous, chez nos confrères et  aussi pour nous permettre de flécher des médias que l’on sait être fiables. On peut aussi faire le choix d’aller plus loin en traitant les sujets évoqués.

Au-delà du journal, vous dites que vous êtes un média  médiateur, qu’est-ce que cela veut dire ?
> Nous, on veut aller dans les classes pour faire de l’éducation aux médias mais aussi sur le terrain faire des ateliers. On veut créer des espaces de conversations hors des écrans, on veut que les gens se voient,  et même s’ils ne sont pas d’accord, ils peuvent ensemble réfléchir. Il y a pour moi urgence à instaurer du débat démocratique. Les médias devraient permettre cet échange de paroles, car ce  qui est proposé aujourd’hui sur les TV notamment, c’est du débat inaudible  qui polarise la société.
On a souhaité également ouvrir notre comité de rédaction à ceux et celles qui le souhaitent, en amont des reportages, et après, on fait des rencontres sur le territoire.

Vous avez fait le choix du papier d’un format particulier dont les 10 pages au format A4 se déplient … et cela en 2025 !
> Il  y a plein de gens qui continuent à avoir envie de lire du papier et autre chose que Sud Ouest, le Résistant… Volonté de pouvoir ainsi le donner de la main à la main… Et puis, il y a un choix d’un journal au format inhabituel, qui se déplie comme une carte et qui fait un mètre de long… On le voulait joli et illustré, que ce soit un bel objet papier, et pour cela on a choisi des illustrateurs et illustratrices qui vivent sur le territoire. La photo est réservée au site, qui prend du retard dans sa réalisation, car le rendu n’est pas très bon sur le papier. La photo a une place de choix dans nos événements… On met alors des photos sur des fils à linge… Et, les gens qui se reconnaissent peuvent les décrocher. C’est un don souhaité et qui a été proposé par Ivan, qui a travaillé autour du portrait réinventé.

Quel est votre modèle économique  aujourd’hui…  et  demain ?
> Le journal est vendu à 7,50 € après un prix de lancement à 6,50€.  Le premier imprimé à 700 exemplaires, en rupture de stock… 800 le prochain… A ce prix-là, on paye aujourd’hui tout le monde : imprimeur, directrice artistique, le cartographe,  l’illustratrice et le journaliste en pige. Moi et Ivan, nous ne nous payons pas, l’idée étant de donner notre temps sur l’année 2025 pour mettre tout en place. Ce qui signifie que l’on travaille aussi à côté et pour ma part en dispensant de la formation et quelques piges. Au final, il nous faudrait mille abonnés. Aujourd’hui, on en compte 400 après une campagne de crowdfunding. En 2026, il faudra aller vraiment beaucoup sur le terrain nous faire connaître, faire connaître notre travail, on a conscience que cela va progresser doucement.

On vous trouve en librairie, des cafés associatifs, des marchés …  
> Notre réseau se met en place petit à petit, on a une vingtaine de lieux… il faut y travailler et une personne de l’équipe va s’y consacrer. Notre volonté est de fonctionner sur le don et l’abonnement papier. Sachant que notre newsletter, accessible gratuitement, offre  la possibilité de faire des dons avec des propositions d’offres. On va étudier notre  présence dans les kiosques également.


Les trois coups ! Selon Anne-Sophie Novel




> Coup de chapeau : « Ce journal n’existerait  pas sans la volonté des gens qui pendant notre tour à vélo nous ont encouragés à faire un média local, qui amènerait un changement  et s’intéresserait au territoire…».


> Coup de main : « En parlant de nous, en relayant notre existence et en nous faisant des retours…    il faut savoir aussi écouter».


> Coup de projecteur : Sur l’opération « Faut qu’on parle » inventée en Allemagne et reprise pour la deuxième année par   le journal  “La Croix“  en collaboration avec le média “Brut“, qui a pour objectif de mettre en relation des personnes aux opinions complètement opposées, inscrites au préalable en répondant  à un questionnaire très clivant…  Puis, sont organisés, un peu partout en France, des échanges entre deux personnes qui habitent à proximité, mais qui ont des opinions différentes, voire complètement opposées sur un certain nombre de sujets d’actualité. C’est génial,  nous, c’est ce  que l’on voudrait faire… il faut qu’on parle ! Je pense que les gens sont fatigués de se sentir divisés, il y a un besoin de discuter, réveiller autre chose en nous… On peut réapprendre à discuter et à s’écouter…On va se former pour être un média qui facilite ces ponts ».


Ismée : https://ismee.info






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REDACTION

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