Bordeaux | 33

« L’horizon qui s’étend devant les yeux, la mer qui scintille, habiter au plus proche du rivage, vivre le rêve ou y venir pour l’été… Lutter contre, construire des digues face à la mer, banaliser la crise climatique… Recomposer autrement, raviver les liens à des paysages … » Autant d’images qui se superposent, se contredisent. À travers une enquête de terrain menée sur 5 ans, deux architectes invitent à déconstruire les dogmes en donnant une vision plurielle de l’adaptation aux changements climatiques et  impulser cet élan de faire autrement.

Par leur intérêt porté au littoral,  leurs recherches  sur la modification des paysages au regard des questions climatiques,  Sophie Dulau  et Marie Banâtre, architectes et enseignantes en écoles supérieures,  vont enquêter sur le littoral  allant du Mont-Saint-Michel à l’estuaire de la Gironde, avec l’ambition de proposer d’autres manières de penser l’adaptation aux changements climatiques : « Notre attention s’est portée sur les territoires littoraux, perçus, dans ce cadre, comme des paysages dit sentinelles, car ils sont en première ligne des changements climatiques – dont il ne faudrait pas réduire les causes à la montée des eaux et à l’érosion -  Ils permettent également d’observer de manière plus intense qu’ailleurs, les transformations en cours et les tensions entre nature et société. Il est important de rappeler que les communes littorales hébergent 8 millions de résidents permanents, soit 12 % de la population française » précise Sophie Dulau.


La  recherche pour faire bouger les lignes dans nos manières de penser
Pour mener cette enquête de terrain qui va durer  5 ans,  Sophie Dulau crée en 2019  l’atelier Klima avec, dit-elle, son binôme Marie  Banâtre. La  structure associative va ainsi permettre la recherche des financements. Elle s’assure de partenariats  avec des institutions publiques et culturelles : l’ADEME, la Fondation de France, l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, la DREAL et le Mécénat de la Caisse des Dépôts :  « Notre  prisme de recherche, qui s’appuie sur une approche culturelle de l’adaptation, une approche alternative,  qui va chercher des projets mis en œuvre à travers des pratiques agricoles, urbaines, artistiques, d’éducation… portant  un regard plus large sur ce qui fabrique l’adaptation, les a intéressés. »

Les solutions techniques comme adaptations majoritaires
« À ce jour, précise notre interlocutrice,  les réponses majoritairement  aux changements climatiques françaises ou occidentales, relèvent  d’une  approche d’adaptation dite “dure“,  celle par exemple de faire des digues pour pallier la montée des eaux, comme ce fût le cas après la tempête Xynthia  avec  la mise en place d’un plan digue  :  « Ce type d’adaptation,  que nous avons étudié dans une première phase, repose sur le maintien du système existant, on parle d’adaptation incrémentale,  c’est-à-dire périphérique. Financée par de l’argent public, elle  utilise une ingénierie  lourde, défensive,  dans le but de se défendre contre les assauts de la mer, la submersion, l’érosion… On va combler les failles.  On peut voir sur le site Internet du département de Charente Maritime : « la protection du littoral, nous la construisons tous les jours ». Il s’agit de protéger nos manières d’habiter sans en changer la forme. »


« … que  peut-on proposer comme autre type d’approche ?… »
À partir de ce constat, l’atelier Klima souhaite élargir la perception de ce qui peut relever de l’adaptation et la fabriquer en allant recenser des démarches transformatives qui cherchent  à changer les éléments fondamentaux d’un système, comprenant de nouvelles connaissances, l’évolution des enseignements… « En tant que chercheuse, citoyenne, que  peut-on proposer comme autre type d’approche ?  Laissant  de côté les acteurs publics, institutionnels, ainsi que les  stratégies – plans de prévention, plans climats…- nous nous sommes concentrées sur la recherche de ce qui est peu connu, ou encore non reconnu comme faisant partie de l’adaptation, dite  silencieuse, souvent des projets issus d’associations ou d’actions citoyennes, pas encore référencés,  très peu aidés, qui ne correspondent pas  à des financements publics fléchés à ce jour ».

… 100 projets ou approches analysés
Trois cents initiatives sur la partie du littoral étudiée comme utilisant une autre approche de l’adaptation sont  alors recensées par le binôme. L’étude définitive portera sur un  échantillon  représentatif de 100 projets, issus de différents domaines d’études ( science, écologie, architecture, philosophie…)  et  de modes d’actions ( projet de recherche, lutte, création artistique…) croisant aussi différents types de milieux géographiques. «  Ce travail de sélection, puis d’analyse de chaque projet et d’approches associées, a ensuite été complété par des arpentages de terrains et des interviews. À partir de cette multiplicité de manières de voir, de penser et d’actions, nous avons réalisé une cartographie de ce qui fait adaptation sur les territoires étudiés (lien  carte arborescence) »

… Le partage d’une  recherche vivante
Si faire de la recherche pour Sophie Dulau, c’est faire bouger les lignes pour transformer les  manières de penser, c’est aussi les  rendre communicables,  les faire  savoir même si cela nécessite beaucoup de temps.
Le site internet  fourmille d’informations  accessibles au grand public qui prendra le temps de lecture nécessaire : rencontres et interviews autour des pratiques et réflexion nourrissant l’adaptation, cartographie des projets et autres cartes pour décrypter, analyser et montrer les dynamiques qui coexistent.
Dans cette  volonté de communication, nos chercheuses multiplient  les conférences, les articles, mais aussi  les interventions dans les écoles supérieures d’architectures et de paysage, afin de montrer ce qui se passe, et débloquer les façons de penser pour stimuler et inspirer de nouvelles approches, au-delà des solutions techniques  : « il faut aller vers ces publics, les rendre curieux  avec un message clair :  «  il n’ y a pas « UNE » solution, toutes les approches, qui passent  par le prisme de la pluralité,  fabriquent l’adaptation dite transformationnelle, c’est TOUTES ensemble qu’elles  fabriquent l’adaptation.  »

Créativité, esprit critique et questionnement en éveil
Parallèlement, l’Atelier Klima s’intéresse aux discours, qui constituent les freins à l’action climatique,  et comprendre ce qui fabrique le déni, l’inertie ou l’accoutumance progressive à ce contexte de crise climatique : « Il y a beaucoup d’inertie, de peur, de même  manière d’agir qui ne nous donnent pas cette envie de faire autrement.  L’enquête  met en évidence  plusieurs autres manières de penser et d’autres modalités d’adaptation. Montrer ce qui se joue déjà, adopter un regard plus  réaliste, être plus conscient,  déconstruire les dogmes, lutter contre la défense des milieux, donner une vision plurielle de l’adaptation fait partie de l’adaptation. Tout peut encore changer… »

 



Les trois coups ! Selon Sophie Dulau


> Coup de chapeau  « À notre ténacité à toutes les deux. On a fait un énorme travail de recensement,  fait sur notre volonté personnelle, il faut tenir la longueur, mais on est tellement impliqué que cela nous renouvelle … Bien sûr, je pense aussi à nos partenaires qui nous ont soutenues pendant 5 ans »  



> Coup de main : « De parler de ce projet, de prendre le temps  d’aller regarder ce que l’on a fourni  : cartes mentales, chacune a nécessité 4 ans, l’atlas 5 ans… C’est un travail de petites fourmis… On est toujours contentes d’avoir des retours… »


> Coup de projecteur : « Sur les paysages maritimes que l’on aime…prendre là aussi le temps d’être bien,  là, de les imaginer sans nous, sans les hommes… Cela ne veut pas dire s’effacer, mais se dire que l’on n’est pas les seuls, d’autres vies vivent là… On n’est pas les maîtres »


L’atelier Klima :  https://www.klima.ong

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REDACTION

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