Saint-Pierre-des-Corps | 37

« On dirait que… »,  « Et si… », dire cela n’est-ce pas déjà entrer en action pour transformer des façons de penser et d’agir ? Ce levier actionné ici par une association au croisement de la création artistique et de l’aménagement des territoires développe depuis 2019 l’idée d’un « Parlement de Loire » comme institution potentielle qui disposerait d’une représentation inter-espèces. La fiction prend vie à travers un récit choral construit au fil du temps.


Au dérèglement climatique, aux alertes du fleuve Loire, ses besoins, ses urgences… des experts, des philosophes, des pêcheurs, des artistes, des écrivains… redonnent des perspectives, impulsent des  nouvelles réponses en nous invitant à appréhender le bassin-versant Loire  comme une entité vivante disposant de droits humain et non-humain.


Favoriser le lien entre  les arts, les sciences et les techniques
Portée  par une association,   le Pole arts et urbanisme - le POLAU-  l’idée  du « Parlement de Loire »  s’inscrit à la suite d’initiatives relatives au fleuve  sur un peu plus de quinze ans : “ La ville à l’état gazeux et Jours inondables “ en 2012,   “ Culture du risque inondation Rhône- Saône “ en 2018,  “ Génies-Génies “ – un programme artistes-ingénieurs, imaginé dans le cadre  “ Viva Léonardo da Vinci, 500 ans de Renaissance “  en 2019.  Emma Grassin, juriste, doctorante en droit de l’environnement et de l’urbanisme au Polau -Pôle  arts et urbanisme- précise « Ces expériences, ateliers… portés par le POLAU, structure ressource-  permettent  de mettre en place un processus collaboratif sur le territoire, visant à faire émerger des représentations au-delà des spécialistes-experts. On peut dire que ces événements s’inscrivent dans le  mouvement de l’urbanisme culturel qui favorise le lien entre  les arts, les sciences et  les techniques,  dans le but  de  contribuer à la transformation des territoires pour leur meilleure habitabilité.»


Faire entrer les non-humains dans le processus décisionnel
Notre interlocutrice rappelle les travaux de Philippe Escola et ceux de Bruno Latour -sociologue, anthropologue et philosophe des sciences- et cite le livre  « Esquisse d’un parlement des choses » une force d’inspiration dans la démarche en construction.  « Son  concept  fait entrer les non-humains dans le processus décisionnel, donnant des droits à une rivière, comme c’est déjà le cas en Nouvelle-Zélande où une rivière a les mêmes droits qu’une personne. Le mouvement des droits de la nature va également ouvrir un autre espace de réflexion en posant le postulat de la fiction pour produire des récits. Et si la Loire avait…»


Utiliser l’enquête collective pour préfigurer une institution
A partir de 2019, la fiction à travers « le parlement de Loire »  se met  en place en s’appuyant sur un processus d’auditions parlementaires. Organisées en Touraine, ces auditions sont  animées par l’écrivain,  juriste et plasticien Camille de Toledo. Une vingtaine d’acteurs  autour des enjeux liés au fleuve sont interrogés. « Ce questionnement mené comme une enquête collective va tordre les idées établies dans tous les sens. Juristes, paysagistes,  archéologues, philosophes, associations environnementales, scientifiques, praticiens et usagers du fleuve se succèdent à la barre » précise notre  interlocutrice soulignant l’emploi  des termes juridiques utilisés dans la démarche.


Mettre le réel en tension, fixer des étapes
En 2021, lors d’une grande remontée du fleuve par trente bateaux, de Tours à Orléans pendant quatre jours, les Ligériens se retrouvent autour d’ateliers, d’expositions, de performances artistiques, pour observer le fleuve, arpenter le territoire, échanger les points de vue. C’est un temps où chacun  parle de  son  rapport au fleuve, de ses ressentis sensoriels et émotionnels… C’est l’expérience des corps, du vécu  qui s’exprime ici. Le  rapport des auditions Loire est, à la suite, mis en récit par Camille de Toledo dans un ouvrage  Le fleuve qui voulait écrire. Dans ce récit-documentaire il dit « mettre  le réel en tension,  à l’épreuve d’un imaginaire »
Notre juriste  précise   : « C’est une bible, on peut dire, un traité d’usage  de la fiction  pour nourrir des initiatives, faire émerger des nouvelles façons d’agir. C’est un changement de paradigme qui est proposé et qui se veut aussi pragmatique en fixant également les prochaines étapes.»


Essaimer la fiction pour amplifier la démarche
En 2022, le collectif « Vers le parlement de Loire »  est créé, il vise  à amplifier la démarche pour faire connaître  les voix de la Loire et reconnaître ses droits ;  il réunit la Mission Val de Loire, l'Université Populaire pour la Terre de Tours, la Rabouilleuse-école de Loire, Ligere, la Maison des Sciences de l’Homme de Tours et le POLAU. «  Ce collectif  qui co-écrit un manifeste cherche à se développer à l’ensemble du bassin-versant de la Loire avec  des institutionnels, des associations, des artistes, des scientifiques… … afin  d’essaimer cette fiction juridique qui se construit avec chaque membre du collectif à travers ses  propres compétences.»
La stratégie de la reconnaissance et à plus long terme par le droit
Des temps forts jalonnent cette volonté : les rencontres des mariniers de Loire en septembre 2023 ; en 2024, la reconnaissance de  citoyen d’honneur  décerné à la Loire par la Ville de Tours. En 2025 d’autres initiatives, rencontres arts-culture et territoire sont prévues. «  La stratégie de toutes ces actions  vise  à aller vers « une déclaration des droits de Loire » et de passer pour cela par le droit souple - Si des élus disent : je reconnais cette déclaration, alors cela aura du poids. »

 


Les trois coups ! Selon Emma Grassin



> Coup de chapeau : « A cette dynamique collaborative portée  par le POLAU, qui par ses compétences a permis de créer le cadre de la démarche Art sciences et techniques  et de trouver les conditions financières au départ pour  mettre en place des initiatives, des événements…»





> Coup de main : « Le POLAU  peut  être un lieu ressources pour donner de la matière  et ouvrir d’autres chemins…»






> Coup de projecteur : « L’ouvrage de Camille de Toledo Le fleuve qui voulait écrire.  C’est un livre puissant, une fiction juridique qui met en visibilité les droits de la nature.»

 

Le POLAU : https://polau.org

 

 

 

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REDACTION

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